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La naissance d’un centre d’art

Jeanne et Norbert Pierlot s’installent à demeure à Ratilly en 1951.

Ils deviennent en quelques années les maîtres d’œuvre d’un atelier de poterie dont les formes utilitaires et les pièces uniques vont prendre une large part dans le grand renouveau de la production de grès qui atteindra son apogée dans les années 70.

Ils vont restaurer au fil des ans la forteresse grâce au concours des artisans du pays, dans le respect des vieilles pierres et des formes simples.

Mais ce que Jeanne et Norbert Pierlot vont souhaiter très tôt c’est partager leur art de vivre et leur expérience avec de jeunes potiers dans le cadre incomparable du château. Ils proposent des stages de poterie, les premiers en Europe. Plus de 3000 stagiaires seront ainsi accueillis pendant plus de 30 ans durant l’été et garderont de leur séjour un souvenir inoubliable.

Ils vont prendre aussi conscience du fait que parallèlement à ses qualités esthétiques, aux prestiges de son histoire, un monument intéresse d’autant plus le public qu’il rend compte des espoirs, des rêves et des interrogations de notre temps.

Ainsi organisent-ils l’été, dès 1956, des expositions d’art contemporain majeures qui feront de Ratilly à partir des années 60, l’un des tout premiers Centre d’art privé de cette époque et qui servira d’exemple en France pour de nombreuses autres tentatives dans les années à venir.

Ils vont être des pionniers dans le fait d’avoir réussi à proposer hors des sentiers battus, au fin fond d’une région excentrée située près des bois, au cœur de pierres ancestrales, les recherches les plus avancées en matière d’art plastique, confinées jusque-là dans quelques galeries urbaines ou des collections privées. Ils font appel à des plasticiens qui sont à l’orée de leur consécration, dont le travail trouve dans le cadre exceptionnel des salles anciennes de toute l’aile Nord du château une correspondance inattendue mais révélatrice de leur talent.

Les premières expositions internationales sont consacrées à la tapisserie – Le Corbusier, Gilioli, Lurçat, Prassinos, Tourlière – , à la poterie de grès avec des œuvres venues du Japon, d’Angleterre, d’Espagne, de Finlande, de Belgique et de France : reconnu par tant de nations comme le premier potier du monde, Trésor national vivant en son pays, Shoji Hamada expose en France pour la première fois. Occidental, non moins célèbre en Orient qu’en Angleterre, Bernard Leach est lui aussi sollicité pour l’exposition « Grès d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs » en 1962, ainsi que Cumella, Del Pierre, Derval, Jouve, J. et J. Lerat, M. et Y. Mohy, de Montmollin, J. et N. Pierlot, Tuumi, de Vinck.

Cette exposition sera accueillie l’année suivante, en 1963, au Musée des Arts Décoratifs à Paris sous le nom « Maîtres potiers contemporains », placée sous le patronage d’André Malraux ; à l’occasion de leur voyage en France, Bernard Leach et Shoji Hamada se rendront à Ratilly.

Puis ce seront à Ratilly, les grandes expositions et rétrospectives des années 60 et 70 qui voient se succéder dans les salles des peintres et des sculpteurs de tout premier plan parmi lesquels les peintres Asse, Bazaine, Bissière, Bokor, Braque, Klee, Manessier, Pagava, Sima, de Staël, Szenes, Tal-Coat, Ubac, Geer van Velde, Viera da Silva, ou les sculpteurs Calder, Chillida, Étienne-Martin, Hajdu, Germaine Richier et Stahly.

Eduardo Chillida ne pouvait alors trouver meilleure terre d’accueil en ce lieu unique pour son œuvre en devenir – nous sommes en 1974 – lui qui écrivait : « La sculpture est solidaire de ce qui gravite autour d’elle ». La correspondance entre les œuvres exposées cette année-là, entre la puissance secrète, silencieuse, du vieux château féodal tout à coup réanimé, est étonnante. Chillida prend conscience aussi de la force contenue et des vertus du grès chamoté qui l’entoure. Il travaillera cette matière avec passion les années suivantes, de retour dans son cher Pays Basque espagnol.

A travers le choix de ses invités, Norbert Pierlot rejoint son exigence de rigueur, ses recherches personnelles au cœur de son propre langage, celui de la terre, mais aussi celui qu’il entretient avec les lettres et la poésie. Ainsi René Char, Jean Tardieu, Don Angelico Surchamp, Georges Perros, Jacques Dupin, Claude Esteban, Yves Bonnefoy, André du Bouchet sont-ils sollicités et répondent à l’appel en saisissant au plus haut point toute la magie intrinsèque du lieu et en préfaçant les catalogues originaux de ces années-là.

En 1976, l’exposition « Terre Seconde » est placée sous l’égide d’Yves Bonnefoy qui écrit la préface originale du catalogue.

En 1977, c’est l’année d’« Espace-Lumière », une importante rétrospective consacrée essentiellement à la sculpture « du cubisme à aujourd’hui » avec des œuvres d’Arp, Azuma, Boccioni, Brancusi, Cardenas, Csaky, Del Ponte, Di Teana, Duchamp-Villon, Gabo, Gaudier-Brzeska, Giacometti, Gonzalez, Hepworth, Laurens, Lipchitz, Marta Pan, Matisse, Melotti, Moore, Picasso, Penalba, Pevsner, Pomodoro, Volten.

L’exposition est conçue par A.M. Hammacher, Directeur du Riiksmuseum Kröller Müller d’Ottertlo en Hollande.

Après le décès de Norbert en 1979 et celui de Jeanne en 1988, leur cinq enfants décident de continuer l’aventure, chacun apportant à sa manière et selon sa propre sensibilité une pierre à l’édifice.

Luc Pierlot organise des rétrospectives de peintres confirmés : Destarac, Dilasser, Lorris Junec, Lusson, Marfaing, Nüssle, de Reimpré, Ros Blasco ; des hommages à des poètes étroitement liés à l’aventure de Ratilly comme André Frénaud ou à des potiers comme Georges Jouve, Jean et Jacqueline Lerat ; il propose au potier japonais de Bizen : Izuru Yamamoto de venir travailler une saison et y exposer ses oeuvres au château. Il invite aussi toute une nouvelle génération de jeunes artistes, peintres et sculpteurs parmi lesquels : Philippe Amiel, Olivier Giroud, Pavel Roučka, Ben-Ami Koller, Dominique Thinot, Claire Moreau, Daphné Gamble ou Noriko Fuse.

Le sens de l’animation a évolué vers des expositions plus confidentielles mais avec un souci identique d’adéquation entre l’ordonnance presque familière de l’espace architectonique intérieur, l’œuvre présentée, et l’engagement de l’artiste qui s’y consacre.

Passionné par la musique pop, le blues et le jazz, Luc renouvelle la programmation traditionnelle de Ratilly, plus classique, et organise des concerts avec la présence de Louis Sclavis, Daniel Humair, Marc Ducret et beaucoup d’autres concertistes célèbres.

Ainsi l’alchimie demeure et si Jeanne et Norbert Pierlot ont laissé par leur œuvre de potiers, par l’esprit même qu’ils surent ensemble créer à Ratilly, une conception du métier faite d’exigence, de réflexion, à l’écoute de ses métamorphoses et de ses correspondances, ils ont su aussi nous transmettre, pour reprendre les paroles d’Yves Bonnefoy, « une leçon très écoutée, très entendue, d’invisible ».

Il ne peut y avoir meilleur exemple et meilleur soutien pour qui veut poursuivre cette aventure que de s’appuyer sur cette nécessité. C’est ce que Ratilly doit avoir le désir sans faille de vouloir préserver.

Dans ce sens une Association des Amis de Ratilly a vu le jour dès 1974. Grâce à leur concours et à leur contribution, les membres actifs qui s’inscrivent chaque année encouragent le renouvellement des différents types d’animation et leur articulation tout en veillant à ce que l’esprit fondateur se perpétue dans l’harmonie.

Un livre édité récemment : Ratilly, Centre d’art vivant résume plus de cinquante ans d’aventure et de partage au sein de ce lieu d’exception.