Jeanne et Norbert Pierlot
Jeanne Boutet de Monvel, née en 1917, passe toute son enfance et son adolescence non loin du Havre, à Ignauval. Son père René Boutet de Monvel est capitaine aux long cours puis chef d’armement à la Compagnie Transatlantique. Il assure les liaisons Le Havre-New-York sur les gros paquebots d’époque dont « le Normandie ». La famille Boutet s’était illustrée jadis grâce au comédien célèbre Jacques Marie Boutet dit Monvel – origine de l’apparition de la particule –, apparenté à Mademoiselle Mars, comédienne emblématique de la Comédie Française à Paris.
René est le neveu de l’illustrateur Maurice Boutet de Monvel (1851-1913), lui-même père du peintre et portraitiste Bernard Boutet de Monvel (1884-1949).
La mère de Jeanne, Marie-Anne, née Lassailly, s’occupe de ses sept enfants dans cette ancienne maison située non loin de la mer. C’est une personnalité remarquable, très musicienne, qui élève ses enfants avec une grande liberté, un esprit de finesse et d’ éveil à la musique et aux Lettres.
Jeanne est la seconde des enfants. Elle fait ses études classiques au Havre, puis passe un brevet d’infirmière qui lui servira quelques années plus tard à soigner les blessés pendant la guerre, tout en poursuivant la pratique du chant, passion qui ne la quittera pas. Suite à une rencontre avec des artisans dont le mode de vie l’avait conquise, elle décide de venir faire un stage pendant l’hiver 1938-39 dans un village de potiers, à Saint Amand-en-Puisaye, situé entre l’Yonne et la Loire, à 190 km au sud de Paris. Elle a 21 ans.
Au hasard d’une promenade à vélo, elle découvre pour la première fois le château de Ratilly à l’abandon, près des bois. Elle est enchantée par la vieille forteresse et impressionnée par sa rencontre avec la propriétaire, Madame Juliette-Ernestine Bénard, une vieille dame qui habite là toute seule dans le plus grand dénuement.
En 1943, elle vient vivre à Paris où elle ouvrira un premier atelier rue Garancière puis rue St-Didier où elle s’installe avec une amie potière, Christiane Larmoyer.
Norbert Pierlot est né en 1919 à Jemmapes en Algérie. Son père, originaire des Ardennes, est officier de gendarmerie dans une garnison militaire. Sa mère est d’origine maltaise -île de Gozo. Norbert est le dernier des quatre enfants. Il passe toute son enfance et son adolescence au bord de la Méditerranée entre l’Algérie et la Tunisie où sa famille maternelle possède une villégiature.
Il quitte l’Afrique du Nord, à l’âge de 20 ans, pour Paris. Il a choisi d’être comédien.
Il tente de passer comme son frère aîné son brevet de pilote pour s’engager dans l’armée de l’air mais les évènements politiques de 1939 s’aggravent et l’empêchent de mener à bien son souhait initial.
Élève de Charles Dullin, il participe à la création de Caligula d’Albert Camus avec Gérard Philipe, noue des amitiés durables avec Jacqueline Hebel et Michel Etcheverry , Gianni Esposito, Alain Cuny, Marcel Marceau, Maurice Ohana, Georges Perros, Michel Bouquet, Jean-Louis Barrault, le clown Dimitri.
Norbert aura une fille, Nicole, d’un premier mariage, puis il rencontre Jeanne Boutet de Monvel à la sortie d’une représentation du Père Humilié de Claudel dont il assure la mise en scène.
L’atelier de céramique de Jeanne, rue St Didier près du Trocadéro, sera très vite après la guerre un lieu d’exposition privilégié, d’échanges et de rencontres fécondes entre de jeunes artistes en devenir, des plasticiens, des comédiens, des musiciens qui répètent sur place dans la sympathie générale.
Jeanne et Norbert se marient à Paris le 18 septembre 1948.
En 1949, c’est la naissance de leur premier fils, Martin.
Puis Jeanne fait découvrir à son mari, lors d’un second séjour à St Amand-en-Puisaye en 1950, toute la région qu’elle affectionne, ses amis les potiers, la famille Lion chez qui elle a fait son apprentissage ; enfin, un soir d’été, à la nuit tombante, une visite au château de Ratilly sera déterminante pour la suite de leur vie.
Norbert a un véritable coup de foudre pour la majestueuse demeure délabrée que lui présente sa femme.
Soutenus par les rares amis et une partie de la famille qui ne les ont pas pris pour des fous, les jeunes mariés font le pari audacieux de quitter Paris, de venir s’installer là en pleine campagne, dans cette maison non chauffée, pour y vivre sans moyens, à contre-courant de l’esprit du temps. Décider d’être potiers dans un château du Moyen-âge, un vrai conte de fée.
Ils vont devenir en quelques années les maîtres d’œuvre d’un atelier de poterie dont les formes utilitaires et les pièces uniques vont prendre une large part dans le grand renouveau de la production de grès qui atteindra son apogée dans les années 70. Ils vont restaurer au fil des ans la forteresse grâce au concours des artisans du pays, dans le respect des vieilles pierres et des formes simples. Ils vont fonder une famille, élever cinq enfants qui sont aujourd’hui des parents à leur tour, voir des grands-parents pour certains d’entre eux.
Mais ce que Jeanne et Norbert Pierlot vont souhaiter très tôt c’est partager leur art de vivre et leur expérience avec de jeunes potiers dans le cadre incomparable du château. Ils vont dès les premières années vivre la porte ouverte et proposer des stages de poterie, les premiers en Europe. Plus de 2500 stagiaires seront ainsi accueillis pendant plus de 30 ans durant l’été et garderont de leur séjour un souvenir inoubliable. Ils vont enfin proposer à des visiteurs de plus en plus nombreux des expositions d’art contemporain majeures, faisant appel à des plasticiens qui sont à l’orée de leur consécration et dont le travail trouve dans le cadre exceptionnel des salles anciennes une correspondance inattendue mais révélatrice de leur talent. Ratilly devient dès 1956 l’un des rares centres d’art contemporain en France en milieu rural ; le seul en Puisaye, avec le CRAC du Tremblay qui ouvre ses portes quasiment à la même époque. Ils sont des pionniers dans le fait d’avoir réussi à proposer hors des sentiers battus, au fin fond d’une région préservée, les recherches les plus avancées en matière d’art plastique, confinées jusque-là dans quelques galeries urbaines ou des collections privées, pour les confronter à un environnement et une architecture inhabituelle, d’une autre époque, et les proposer au public.
Les arts plastiques sont à l’honneur, certes, dans un contexte surprenant et inattendu qui les met en valeur, mais ils sont célébrés aussi à Ratilly lors des grandes cérémonies que furent les Fêtes du Solstice, à la St Jean, où les vernissages sont l’occasion de concerts ou de spectacles variés et originaux d’une grande qualité.
Pendant trente ans, sous l’égide de Jeanne et Norbert Pierlot, des activités pluridisciplinaires, à la fois parallèles et conjointes, se sont multipliées et le titre choisi par François Mathey dans le catalogue de l’exposition qui célèbre l’aventure de Ratilly au Musée des Arts Décoratifs à Paris, en 1976 : « Ratilly-Lès-Pots – Ratilly-des-Arts », pourrait servir d’exergue à ce propos.
Après le décès de Norbert en 1979 et celui de Jeanne en 1988, leur cinq enfants décident de continuer l’aventure, chacun apportant à sa manière et selon sa propre sensibilité une nouvelle pierre à l’édifice.
Jeanne et Norbert Pierlot
« Soutenus par les rares amis et une partie de la famille qui ne les ont pas pris pour des fous, les jeunes mariés font le pari audacieux de quitter Paris, de venir s’installer là en pleine campagne, dans cette maison non chauffée, pour y vivre sans moyens, à contre-courant de l’esprit du temps. Décider d’être potiers dans un château du Moyen-âge, un vrai conte de fée. »
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