Accueil > Jeanne et Norbert Pierlot

Jeanne et Norbert Pierlot

C’est à Saint-Amand-en-Puisaye où la production de grès remonte au XVIe siècle, chez le vieux maître potier Eugène Lion, que Jeanne Boutet de Monvel vint s’initier à la poterie durant l’hiver 1938-39. Elle a 21 ans.
Amand Lion, père d’Eugène, fut l’un de ceux qui accueillirent en 1888 le sculpteur Jean Carriès et l’aidèrent dans sa recherche passionnée d’émaux et la réalisation de formes d’inspiration extrême-orientale.

En 1938, Eugène, dit « le père Lion », poursuivait cette recherche et savait en transmettre le goût. Il était aussi à cette époque l’un des tout derniers potiers à tourner les modestes formes utilitaires – écuelles, cassolettes, soupières – dont le charme toucha particulièrement Jeanne de Monvel qui gardera toute sa vie un penchant très vif pour ces poteries simples et quotidiennes.

Dès 1943, elle ouvre un atelier à Paris rue Garancière puis rue St Didier, près du Trocadéro. Elle y travaille la faïence et réalise des objets décoratifs : des oiseaux muraux et des lampes. Elle participe aux Salons de l’imagerie et Salons des Artistes Décorateurs et commence à dessiner les premiers éléments d’un service de table.
Après son mariage en 1948 avec Norbert Pierlot alors comédien, ils décident d’acquérir le château de Ratilly, – la signature a lieu le 6 janvier 1951 –, pour y vivre et y créer un lieu de poterie. L’installation commence au printemps avec leur premier fils Martin. Trois fois par semaine, Jeanne Pierlot se rend à St Amand-en-Puisaye en bicyclette pour anser les soupières et les pichets que Pierre Lion, le fils d’Eugène, tourne et cuit.

À l’automne 1951, le couple retourne à Paris pour la naissance de Nathalie.
Norbert poursuit son activité théâtrale tout en profitant de ses journées de relâche pour surveiller les premiers travaux et la construction des fours.
Au printemps 1952, c’est l’installation définitive et la 1ère cuisson épique dans un four à charbon de 2 m3.
Dès l’été 1952 arrivent les premiers stagiaires qui se succèderont pendant 35 ans pour découvrir et partager le métier de potier.
Durant l’hiver 1952-53, Norbert Pierlot, en tournées, prospecte les magasins de cadeaux pour y obtenir des commandes.
Jacqueline et Georges Jouve viennent passer tout l’été 1953 sur place. Jouve fait réaliser ses pièces par un tourneur de la région. La cuisson a lieu à Ratilly ; dans un livre consacré à la mémoire de Jouve, Norbert Pierlot fait le récit d’une cuisson mémorable.
Jeanne Pierlot développe pour la table ses formes aux lignes simples et dépouillées dans un grès brun préparé à Ratilly, recouvert d’un émail blanc laiteux ; toutes les pièces sont signées d’une chouette, oiseau sédentaire depuis des siècles dans les vieilles tours du château.
Norbert Pierlot abandonne peu à peu le théâtre pour la poterie. Commence alors une recherche commune de pièces uniques pour lesquelles ils tentent d’élaborer une harmonie essentielle entre l’émail et la forme.

Vont naître de la collaboration de Jeanne et de Norbert des formes de contenants plus recherchées, plus gratuites aussi, où le pot n’est plus qu’un prétexte ou presque. Vases ou bouteilles très refermés, aux formes tendues, douces mais strictes, alliées à un émaillage précieux et épais, sombre, noir ou brun, ou encore blanc allié aux taches noirâtres des pyrites contenues dans l’argile de Puisaye.

Marcel Poulet, L’aventure de Ratilly, Revue de la céramique et du Verre, juillet-août 1988

Expositions personnelles

Galerie La Demeure à Paris en 1956 , puis en 1965 ; Galerie II Discanto à Milan en 1967.

Expositions de groupe

Triennale de Milan en 1957 ;
« France d’ aujourd’hui » à Zurich ;
Médaille d’or à l’Exposition internationale de Bruxelles en 1958 ; puis Faenza, Moscou, Montréal ;
« Maitres potiers contemporains » au Musée des Arts Décoratifs à Paris en 1962 ;
Musée de Sèvres ;
Musée d’ Art Moderne de Tokyo ;
Musée Cantini à Marseille ;
Médaille d’or à l’Exposition internationale de céramique d’Istanbul en 1967 ;
« Grès contemporains » à la Maison de la culture de Caen en 1968.

La poterie usuelle s’enrichit au fil des années d’un grand nombre de modèles. Une équipe de cinq personnes participe à sa production.

Les Pierlot ont su proposer au public des objets usuels de forme pratique et pure, recouverts d’un simple émail blanc qui, çà et là, laisse apparaître en transparence le rouge de l’argile ? Ce sont des grès d’usage courant que l’on aime regarder, mais dont on aime aussi se servir quotidiennement. Cette production de petite série n’a rien, cependant, d’une production industrielle. Comme le précise justement Jeanne Pierlot, vingt pichets de la même apparence ont demandé chacun une attention particulière au tourneur. Il n’y en a pas deux qui auront exactement la même forme ni la même couleur et pas un pour lequel ne se posera le problème de la place ou de la proportion de l’anse . Il faut donc au potier une constance maîtrise de soi et une exigence constamment en éveil. Parallèlement à cette production les Pierlot ont su garder leurs meilleurs moments pour la recherche d’œuvres lentement méditées et élaborées. Sachant regarder les formes anciennes et traditionnelles sans vouloir les imiter, ils ont pu les repenser et les faire leurs.

Georges Prat

En 1975, Norbert Pierlot s’isole dans une ferme voisine où il poursuit une recherche personnelle de grandes pièces fortement chamottées. C’est le début d’une évolution personnelle du pot vers la sculpture.

Dans ces pièces, dont certaines mesurent plus d’un mètre, le stade de la poterie est dépassé. Plusieurs reprennent la forme du pot mais décentrées, déformées, s’inscrivant sans ambiguïté dans une problématique de l’espace et de la lumière. D’autres s’affranchissent du prétexte premier pour s’affirmer comme de véritables sculptures. Les surfaces, alternativement traitées par lissage et arrachement des grains de chamotte, donnent un frémissement épidermique à ces volumes sévères, secrets comme des roches. Pas d’émail, pas d’habillage. Norbert Pierlot semble avoir fait sienne la parole de Beethoven :
Dans le monde de l’art comme dans la création toute entière, la liberté et le fait d’aller plus loin sont le but. Si l’on songe à ses pièces antérieures il est en effet allé bien plus loin car il a renoncé aux séductions premières.

Marcel Poulet, L’Aventure de Ratilly, Revue de la Céramique et du Verre, juillet-août 1988

Ce travail sera présenté au Musée des Arts Décoratifs à Paris en 1976 dans l’importante exposition consacrée à Ratilly. Ce seront les dernières pièces de Norbert Pierlot avant son décès à Ratilly en janvier 1979.